La chaîne bio Färm vient de fusionner avec Biotope, le plus gros acteur spécialisé dans l’alimentation bio du Benelux. Une fusion « naturelle » qui permettra de mieux concurrencer la grande distribution, plaide l’administrateur délégué de Färm. Tellement naturelle que… l’un des cofondateurs a retiré son capital, dépité. Pas de quoi rassurer les producteurs bio les plus agroécologiques !
Clémence Dumont, journaliste / clemence@tchak.be
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Ce 28 février, la coopérative Färm a fusionné avec Biotope, le nouveau nom de Dobridos. Un nom qui ne vous dit rien ? Il s’agit pourtant du groupe qui domine le marché spécialisé de l’alimentation bio en Belgique et aux Pays-Bas. Il se trouve derrière plusieurs chaînes de magasins (Ekoplaza, Marqt et Origin’O) et surtout derrière les deux principaux grossistes bio du Benelux : Udea et Biofresh. Parallèlement, Färm a racheté Biostory, ce qui lui permet de passer de 18 à 23 magasins.
Dans la lettre qu’ils ont envoyée aux coopérateurs, la présidente du conseil d’administration et l’administrateur délégué de Färm rassurent : « Pendant toutes les rencontres que nous avons eu l’occasion d’organiser avec les familles présentes derrière le groupe Biotope pour mettre sur pied cette fusion, nous n’avons eu de cesse de vérifier l’adéquation de nos valeurs mutuelles et de nos projets. Et c’est sans jamais forcer que, tout naturellement, la fusion s’est opérée. »
Färm continuera à se développer à Bruxelles et en Wallonie, tandis que le réseau Ekoplaza est appelé à grandir en Flandre. Un « magnifique rapprochement », insistent les dirigeants.
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Olivier Van Cauwelaert, cofondateur, quitte Färm
Pourtant, cette fusion entre la chaîne bio Färm et Biotope est loin d’avoir été actée « tout naturellement ». Jugeant que Färm allait y perdre son âme, le cofondateur historique Olivier Van Cauwelaert (Scale Up) a décidé de retirer son capital, a appris Tchak auprès de plusieurs sources. Finance&invest.brussels a également retiré ses billes, mais plutôt parce que cette société anonyme d’intérêt public n’a pas pour vocation d’investir aux Pays-Bas, d’après ces sources.
Alexis Descampe, administrateur délégué de Färm, s’attendait à ce que la fusion suscite des remous. Néanmoins, il assume. « Notre but, c’est de consolider le marché du bio indépendant [de la grande distribution, NDLR] sans tomber dans ce qu’on estime être une dérive, à savoir la recherche du prix le plus bas au détriment de la qualité bio au sens large, nous a-t-il expliqué. On a toujours cherché à se rassembler entre acteurs du bio indépendant. On veut davantage centraliser nos achats pour, bien sûr, acheter à bon prix, mais surtout pour choisir les produits qu’on veut sur nos étals sans dépendre du catalogue d’un grossiste. En s’unissant à une plateforme logistique comme Biofresh, on pourra lui demander de sourcer les produits que nous voulons dans nos rayons, des produits qui correspondent à notre charte de valeurs. C’est un mouvement dans les deux sens. »
Une fusion encouragée par la chute des ventes observée depuis quelques mois, chez Färm comme dans beaucoup d’autres magasins bio ? « Non, ça fait un an qu’on en discute donc il n’y a pas de lien. Mais elle arrive au bon moment, estime le CEO. Le fait que le marché soit en baisse est un signal supplémentaire qu’on doit se rassembler pour être une alternative crédible à la grande distribution. »
Les mêmes travers que la grande distribution ?
Crédible pour qui et pour faire quoi ? À force de vouloir concurrencer la grande distribution, Färm ne risque-t-elle pas de tomber dans les travers qu’elle dénonce ? Certes en ne commercialisant que des produits bio non cotés en Bourse, comme elle s’y engage, mais en marginalisant les fermes les plus agroécologiques au profit des exploitations les plus industrielles ? En participant à une mise sous pression des producteurs et productrices qui, ultimement, uniformisera encore plus leurs standards en les tirant vers le bas ?
C’était déjà le risque que nous pointions dans notre enquête sur le marché bio parue dans le numéro 4 de Tchak (décembre 2020).
Dans cette enquête, on s’était notamment penché sur les pratiques commerciales de Färm. Une chaîne plus engagée dans la transition vers une alimentation durable que la plupart de ses concurrentes, qui s’investit dans le développement de nouvelles filières locales.
Une chaîne dont les valeurs cohabitent cependant difficilement avec son ambition expansionniste, qui met en avant des artisans et paysans locaux tout en les soumettant à une concurrence croissante avec des producteurs plus industriels, parfois plus lointains, et qui ne privilégie pas systématiquement le commerce équitable, contrairement à ce que son discours suggère.
Quant à sa gouvernance, qui n’est pas celle d’une coopérative agréée par le Conseil national de la coopération, elle donne un poids prépondérant aux investisseurs sans les empêcher de poursuivre un but spéculatif.
+++ Pour en savoir plus sur les pratiques de Färm, The Barn et d’autres magasins bio, lisez notre enquête « Le cri d’alarme des producteurs bio » dans le numéro 4 de Tchak, toujours en vente.
Dans le cadre de cette enquête sur le bio, nous avions aussi analysé l’évolution de quelques grossistes dont Biofresh, le principal en Belgique, qui livre tant des chaînes que des petits points de vente indépendants. S’il distribue quelques chouettes marques, ce grossiste s’organise surtout pour rendre le bio industriel plus efficient et non pour aider les producteurs les plus agroécologiques à se fédérer, constations-nous.
S’agissant des légumes, par exemple, les prix que Biofresh offre sont ridicules pour les maraîchers sur petite surface et même pour ceux de taille moyenne. Résultat : ses légumes viennent surtout de gros producteurs moins écologiques et peu soucieux des conditions de travail de leur main-d’œuvre. Les mêmes que ceux qui fournissent la grande distribution, alors que Färm se vante de lutter contre la « conventionnalisation » du bio !
« Pour les maraîchers, il n’y a pas de taille d’exploitation idéale, répond Alexis Descampe. C’est sûr que Biofresh ne va pas vendre les légumes d’un petit maraîcher. Mais chaque magasin Färm pourra continuer à développer des relations en direct avec des producteurs. Et puis Färm n’est pas monopolistique. Si certains quittent la grande distribution grâce à nous puis découvrent les GASAP ou des magasins à la ferme, c’est très bien ! »
« Färm et Biofresh n’ont pas du tout les mêmes pratiques »
Cette argumentation ne convainc pas tout le monde. « Jusqu’ici, j’avais toujours soutenu Färm malgré les critiques. Le bio est en difficulté, et je comprends qu’ils aient besoin de faire des rapprochements pour avoir un impact. S’ils veulent concurrencer la grande distribution, ils doivent faire des compromis pour proposer des prix accessibles. Mais là, je ne comprends pas, commente un petit fournisseur de l’enseigne. Biofresh et surtout Udea, ce sont des acteurs énormes qui tirent le bio vers le bas. Pourquoi avoir choisi ces acteurs-là ? »
Un autre fournisseur embraye : « Färm et Biofresh n’ont pas du tout les mêmes pratiques, notamment en matière de négociation de prix. Je ne partage pas leur communication sur leurs soi-disant valeurs similaires. Et vu la taille respective des acteurs, je parlerais d’absorption plus que de fusion », ajoute cet interlocuteur. Qui regrette « un pas de plus vers l’uniformisation du bio. Et aussi vers la batavisation du secteur du retail. Un acteur majeur du paysage bio belge passe aux mains des Hollandais. Un peu comme quand Ahold a repris Delhaize… »
+++ À lire aussi : Agricovert, la coopérative qui valorise le bio équitable
Les clients professionnels de Färm se demandent par ailleurs ce qu’il adviendra de la centrale d’achats que la coopérative a mis en place en 2020, notamment pour faciliter les échanges commerciaux en direct. Alexis Descampe explique qu’aucune décision n’a été prise, mais on voit mal quelle sera son utilité à l’avenir si Biofresh devient sa plateforme logistique de base. « Les franchisés rechignent déjà à passer par la centrale quand ils ont les mêmes produits moins cher via Biofresh », observe un fournisseur.
Le CEO préfère relativiser les conséquences de la fusion : « Biofresh, c’est un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros. Pour les plateformes de distribution de la grande distribution, on parle en milliards. Il faut garder un œil critique, mais aussi ne pas oublier à quoi on se compare ».
De fait, les acteurs du marché bio spécialisé restent des nains à côté de la grande distribution. Mais en 2020, l’ensemble du groupe Biotope représentait tout de même un chiffre d’affaires de près de 400 millions d’euros. De quoi participer sensiblement au développement de l’agriculture biologique. Et aussi contribuer au déséquilibre du rapport de force avec les premiers qui la font vivre : les agriculteurs.
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