« Il est des mots qui semblent capter l’esprit de l’époque »
Pascal Chabot nous questionne sur ce qui traverse notre époque et spécialement dans quelques domaines clés comme les domaines énergétique, politique ou démographique. « Il est des mots qui semblent capter l’esprit de l’époque » et le terme transition est de ceux-là. « Il marque le passage et le changement, comme si notre société, entraînée par l’accélération des flux de toute nature, avait besoin d’un vocable rassurant pour signifier que les transformations vécues pouvaient être positives. »
Il nous invite à observer dans cette nébuleuse des transitions « cet heureux mélange d’espoir et de pragmatisme, comme si les utopistes contemporains avaient compris que c’est dans le concret qu’il faut dessiner le futur. » Mais il s’invite aussi, comme philosophe, à une cure de modestie et d’humilité et à éviter la tentation d’une théorie générale : « la meilleure chose qui puisse aujourd’hui arriver à la réflexion est de parvenir à tracer un chemin de mots au milieu des réalités, pour en éclairer certains aspects, créer quelques résonnances, dissiper l’un ou l’autre fantasme. »
Alors, le terme transition peut-il nommer un nouvel imaginaire du changement ? Quels points communs mettre en évidence dans les démarches le mobilisant ? Que se passe-t-il comme expériences spécifiques dans les domaines élaborant des modèles de transition ?
Pour Pascal Chabot, si « les mêmes slogans reviennent pour protester contre la capture de l’avenir par l’appareil d’Etat », ce sont surtout des pratiques similaires qui s’installent dans les sociétés : ouvrir les boîtes noires (regarder en face les impacts globaux de nos comportements), s’intéresser aux moyens et pas seulement aux finalités ; affirmer et déployer ce qu’il nomme le progrès subtil, affirmer l’importance de l’évolution des mentalités et de l’investissement personnel.
Ouverture des boites noires : « toute transition commence par un vacillement des convictions ordinaires » ; nous savons maintenant que notre confort nous transforme en ogres et que les coulisses du monde sont peu ragoutantes ! Nous appartenons à un système (« le système, c’est tout ce qui nous porte et nous oblige, et que nous ne contrôlons pas) et nous sommes comme scindés entre adhésion et refus, désir et dégoût, il n’y a plus d’horizon clair ! Alors, « la transition, c’est d’abord la contradiction assumée, à laquelle se joint la volonté d’en atténuer la violence. »
Par ces dévoilements, une nouvelle lucidité s’installe, « le système cesse d’être une hydre aveugle » et apparaît comme un ensemble de dynamiques identifiables : « toute phase de transition met à nu la mécanique de l’ensemble … les coulisses du monde deviennent plus lisibles ».
Revoir les relations entre les fins et les moyens : changer les moyens pour transformer les fins ! « … les fins, semblables aux idées platoniciennes, peuplent souvent un ciel lointain dans lequel chacun lit ce qu’il désire. Lasse peut-être des débats généraux et généreux sur les finalités, la transition entend d’abord transformer ce qui relève du comment. » … Le combat s’est déplacé d’une lutte pour la prééminence des fins à une rivalité pour la justesse des moyens. »
L’invitation devient celle d’une culture du subtil, qui loin des idéologies qui masquent le réel et des « lunettes utilitaristes », permet de développer une connaissance concrète, qui part de chaque existence et en respecte les spécificités et crée du lien depuis les spécificités de chaque élément. Le subtil étant la trame qui se dissimule sous le tissage de l’étoffe, il convient actuellement de distinguer progrès utile et progrès subtil, sans les opposer. "L’utile et le subtil ne s’opposent pas, et rien ne serait plus partial et romantique qu’une apologie de la subtilité qui perdrait de vue les bienfaits de l’empire de l’utile. Mais l’équilibre entre ces deux pôles est difficile à concevoir."
Les piliers de la transition sont dès lors pour l’auteur : l’importance accordée aux moyens, la culture du subtil et les valeurs de respect et de reconnaissance.
L’énergie étant un grand refoulé de l’histoire de la philosophie occidentale (qui a privilégié la matière et la forme), la transition énergétique interroge le lien entre les énergies humaines (notamment l’enthousiasme) et les énergies non-humaines. "Un lien doit tout d’abord être construit entre les énergies humaines et non humaines. D’un point de vue philosophique, cette confrontation est au centre de la transition énergétique. Il faut pour cela partir de l’énergie humaine, trop souvent oubliée mais centrale."
Enfin, une transition articulant évolution des mentalités, changement social et changement personnel : « Derrière la notion de transition, il y a une façon de comprendre sa place dans l’univers. Un concept sans vision du monde ressemble à une lettre d’amour sans destinataire : un beau geste, mais un peu vain. C’est à ce regard nouveau que les personnes de plus en plus nombreuses qui oeuvrent à leur échelle pour une évolution viable font référence lorsqu’elles parlent de « transition intérieure ». Une conscience plus altruiste est capable de nourrir des actions plus justes. »
Si sa pensée nous aide à comprendre cette époque bien compliquée, elle nous invite surtout à un nouvel imaginaire du changement. Un changement émanant des bordures (d’autres ont dit d’en bas, des marges, des fissures, des niches, … ), porté collectivement et permettant d’inventer d’autres mondes, ancré dans la société civile (dans une vie politique qui précède les institutions) et se fédérant autour de réflexions pragmatiques et situationnelles. Un mouvement qui s’il ne croit plus au Grand Soir construit des petits matins : "C’est dans le deuil de la révolution que fermentent les pensées de la transition" !