Tchak ! - La revue paysanne et citoyenne qui tranche - parle d’agriculture paysanne et des nouveaux modèles de production, de distribution et de consommation. Elle questionne les pratiques de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. À la Une de son 6° numéro, l’enquête "Travailleurs saisonniers agricoles : ces forçats qu’on ne veut pas voir".
EDITO du 29 juin 2021
Par Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be
L’agriculture, c’est pour les gens, pas pour le capital !
Merci à Simion d’avoir cueilli ces tomates cerises alors qu’il était sous la coupe d’un marchand de sommeil ; bravo à Sidy d’avoir récolté ces pommes alors qu’il se faisait injurier par son boss toute la journée ; félicitations à Natalia d’avoir rempli ces barquettes de fraises alors que son patron a refusé de lui verser son salaire pendant sa quarantaine, etc. Voilà, c’est ça, le vrai message que devraient afficher les supermarchés dans leurs rayons fruits et légumes.
Vous pensez qu’on dramatise ? Lisez notre enquête au cœur du numéro 6 de Tchak !. Elle dévoile une face cachée de la production intensive. Insultes, arnaques, quasi-séquestration… Non, on ne vous parle pas des plaines d’Almeria. Cela se passe chez nous, dans certaines serres flamandes, dans certains champs wallons. A l’autre bout de la chaîne, dans les centrales d’achats de la grande distribution, personne n’est dupe. Priorité aux investissements outre-Atlantique, aux dividendes. C’est la « marge » des affaires, conclues sur le dos de travailleurs précarisés. Reste à noyer le poisson dans des campagnes de com’ empruntant ses clés, ses cartes et ses codes au circuit court.
Vous dites qu’on exagère ? Lisez notre billet consacré à la Deutsche Bank ou notre décryptage sur l’opération Belhaize. On y explique comment la banque allemande et la chaîne belgo-néerlandaise mettent en scène le mot « local » tout en se fourvoyant sur son sens même. Un greenwashing généralisé qui ne s’encombre plus de la moindre précaution : plus c’est gros, plus ça passe.
Vous trouvez qu’on en rajoute ? Plongez dans notre interview de Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations unies. Son constat est implacable : la libéralisation toujours plus grande des marchés agricoles n’a pas permis de vaincre (*) la faim dans le monde. C’est même le contraire. Quelque 155 millions de personnes ont été confrontées à une situation de crise alimentaire aigüe en 2020, soit 20 millions de plus qu’en 2019. Un nombre qui s’additionne à 690 millions de sous-alimentés.
Sur son site, le constat du CNCD est, lui aussi, cinglant : la faim progresse alors que les stocks et le commerce des céréales sont… en hausse ! Un paradoxe qui souligne combien notre système alimentaire mondial est incapable de répondre aux chocs créés par la pandémie. Quid lorsqu’il va s’agir d’affronter ceux liés au changement climatique ?
Vous nous jugez trop pessimistes ? Pas du tout. Voyez par vous-mêmes, achetez ce numéro. Vous y rencontrerez, notamment, les sœurs Schalenbourg, deux agricultrices qui ont refusé de vendre leur âme aux multinationales ; Vincent Degrelle, d’Ethiquable Benelux, qui crée des ponts avec les producteurs burkinabés ; Christine Mahy, du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, qui plaide pour la création d’une sécurité sociale de l’alimentation. Et vous partagerez quelques pages avec Geneviève Savigny, éleveuse membre de la Confédération paysanne.
Au fait, vous savez ce qu’elle pense, elle, de tout ça ? Que l’agriculture, « c’est pour les gens, pas pour le capital ». Si ça, ça ne vous donne pas du punch !
Article à retrouver sur : https://tchak.be/index.php/2021/06/24/agriculture-cest-pour-les-gens-pas-pour-le-capital/
(*) Modification du mardi 29 juin 17h30 : le verbe “vaincre” remplace le verbe “réduire” initialement utilisé. Après relecture de son interview, ce dernier ne reflétait pas suffisamment le propos de Jean Ziegler. Une modification notamment faite suite à une discussion que nous avons eue sur Twitter avec certaines personnes nous accusant de relayer de fausses informations.