Constance Rimlinger, sociologue, maitresse de conférence à l’université de Lille, travaille sur le phénomène de retour à la terre et sur le croisement des enjeux féministes et écologistes. Elle est l’autrice de l’essai Féministes des champs, ouvrage que nous avons arpenté en groupe, samedi passé. S’en est suivie une discussion à batons rompus autour des freins, tensions et espoirs qui nous traversent lorsque l’on aborde la question de la souveraineté alimentaire et des projets écoféministes ruraux.
Parmi toutes les configurations écoféministes rurales explorées par Rimlinger, trois idéaux-types se dégagent. On a eu envie de les résumer pour vous, et prolonger ainsi notre voyage dans les marges écoféministes.
Le premier est la configuration écoféministe "différentialiste séparatiste". Il regroupe les féministes radicales, héritières du lesbianisme politique des années 70, théorisé en France par Monique Wittig dans son essai La pensée Straight. Les communautés observées par Rimlinger sont formées de femmes cisgenres et sont souvent porteuses de valeurs transphobes (les femmes trans n’y sont pas acceptées). Selon ces personnes, le meilleur moyen de lutter contre le patriarcat est de s’organiser entre elles, dans un milieu rural. Celui-ci leur permet d’acquérir de l’autonomie (alimentaire notamment) et une liberté plus grande que dans un contexte urbain. Ces communautés forment un réseau international fort, avec des communications régulières entres groupes (Europe occidentale, Canada, Etats-Unis, Australie principalement).
Le deuxième idéal-type identifié par Rimlinger est la configuration écoféministe "queer intersectionnelle". Ce sont des projets plus récents, portés par des personnes qui s’auto-nomment queer et portent une attention à l’intersectionnalité de leurs actions. Comme dans la configuration précédente, le souhait est de créer un lieu sécure pour des personnes minorisées, mais la non-mixité pratiquée est élargie. En général, seuls les hommes cisgenres n’y sont pas inclus. Iel revendiquent une déconstruction des catégories et un rejet de l’essentialisme. Rimlinger a par exemple passé du temps au sanctuaire végane néo-zélandais "Black sheep", tenu par un couple de femmes se revendiquant de l’anarchisme et du féminisme queer intersectionnel. Lire à ce propos l’article "Ni Dieu ni maître (boucher)". https://journals.openedition.org/clio/21817
Enfin, le troisième groupe est la catégorie « holistique intégrationniste ». Ce sont des communautés formées par des femmes qui ne placent pas leur identité lesbienne, queer ou féministe au coeur de leur projet. Leur attention est focalisée sur l’autonomie, le retour à la terre et la souveraineté alimentaire. Rimlinger les appelle "Intégrationnistes" car, contrairement aux deux catégories précédentes, qui entretiennent peu de lien avec les communautés locales, ce sont des groupes qui s’intègrent fortement à la dynamique locale du territoire dans lequel ils s’inscrivent.
Certaines tensions sont transversales à ces trois types de communautés, comme le manque de temps et de ressources. La quantité de travail est colossale et les soutiens financiers réduits. La taille des terrains cultivés ne permet par exemple pas d’accéder au statut d’exploitant agricole et aux subventions. Pour subsister, les communautés diversifient leurs actions (ateliers, transformation, vente à la ferme), ce qui alourdit encore la charge de travail et le nombre de compétences nécessaires pour maintenir le projet à flot.
Ces communautés partagent le besoin de se libérer du capitalisme patriarcal, de construire une alternative radicale, d’expérimenter dans sa chair d’autres rapports à la famille, au travail, à l’alimentation, au chez-soi.
L’ouvrage Féministes des champs ouvre des possibles écoféministes. Il déborde de pistes de réflexions et d’actions politiques, sans idéaliser le mouvement de retour à la terre. Une pépite à arpenter !