Présentation Miguel Benasayag
Miguel est de ceux qui ont compris que notre époque est celle de l’effondrement d’un grand rêve : celui des lendemains qui chantent. Plus précisément la faillite du développement « à l’occidentale » : notre modèle de vie, parce qu’il crée un désastre environnemental et des inégalités de plus en plus insupportables, n’est ni généralisable, ni souhaitable. Les anciens repères ne fonctionnent plus. Nous sommes entrés dans une période d’incertitude et les crises s’accumulent : environnementale, sociale, financière, économique, climatique… la question se pose de comprendre les interactions de ces crises ou plutôt la crise du modèle.
Le capitalisme (la modernité occidentale) n’est pas réductible à un mode de production et de distribution de la richesse, il est une culture, une conception du monde, un esprit, un projet.
Nos dirigeants semblent bien perdus et tentent de gérer la crise avec les mêmes recettes que celles qui l’ont produite. Dès lors, quand il n’y a plus de modèle, que faire ? Comment repenser l’action dans cette incertitude ?
Des associations citoyennes tentent d’expérimenter d’autres voies : un changement par la base, par le quotidien : un changement de culture. Et Miguel Benasayag s’intéresse depuis longtemps à ces laboratoires, à ces lieux d’expériences de nouvelles solidarités entre les humains et des humains avec leur environnement. Il propose une réflexion alimentant nos pratiques, mais aussi et surtout nous permettant de donner sens à nos actions. Bertolt Brecht nous disait déjà : « si tu ne peux changer le monde, change ta rue ! ». Miguel nous explique la validité de cette proposition ! Depuis des années, il observe l’émergence des nouvelles radicalités. Il se définit comme un militant chercheur, il tente d’apprendre avec l’aide de nombreux groupes à articuler la rationalité scientifique et l’engagement existentiel. Il nous aide à sortir de la civilisation de la Promesse et de la Consolation en construisant un sens à l’action en situation, en rencontrant la joie de l’engagement comme mouvement ici et maintenant et non « pour demain ». Il formule très bien les réflexions qui animent de nombreux projetsi : agir pour plus de justice, solidarité, respect tout en sachant qu’il s’agit d’un combat jamais achevé : justice, solidarité et respect sont toujours à construire, jamais atteints.
Pour lui, la question de l’alternative est anthropologique mais pas politique (il dit que la politique vient toujours plus tard). Il nous faut construire des formes de vie différentes de celles que le système nous propose, créer des noyaux de résistance dans notre vie au quotidien. Le pôle alternatif ne peut être qu’un pôle de vie, un pôle de création. Le monde politique n’a pas la possibilité de résoudre les grands problèmes car son domaine c’est la gestion : il gère ce qui existe au présent.
Miguel Benasayag comme un héritier et un continuateur de la révolution « systémique », mais ce mouvement systémique a ceci d’inconfortable : on ne sait où il commence ni où il se termine ! Les grands thèmes de la systémique sont développés par Benasayag : questionner notre représentation du réel, la place de l’observateur dans l’observation, le lien entre la pensée, le sentir (le pâtir) et l’action, le rapport entre le tout et la partie ; considérer le vivant comme auto-organisé, comme étant un mouvement, un processus plutôt qu’un état… Benasayag nous invite à repenser l’engagement en fonction de cette « nouvelle » façon de concevoir le mondeii. Il nous invite à articuler notre engagement et notre action à cette épistémologie.
Quant à l’engagement, les mouvements sociaux indiens et l’expérience du Chiapas seront importants pour Benasayag. Il souligne le pas de côté décisif de ces mouvements par rapport au politique. À ses yeux, les plus intéressants de ces mouvements se placent dans un "au-delà" de la logique du pouvoir et tentent, sans modèle, sans attendre le grand soir et ses lendemains qui chantent, de changer la société, de transformer la vie en partant des situations concrètes.
Des mouvements variés apparaissent un peu partout et ont des similitudes. Pour synthétiser très fort, ce sont des mouvements qui savent que le changement ne viendra pas d’en « haut », que cette fois-ci c’est un changement de culture, de valeurs, de façon de vivre, de concevoir la vie qui est nécessaire. Un changement « anthropologique » … Le changement viendra « d’en bas, à gauche » écrit le Sous Commandant Marcos.
Pour expliciter cela, citons Bruno Latour, qui écrivait dans un article paru dans « Le mondeiii » : « jusqu’ici, la radicalité en politique voulait dire qu’on allait révolutionner, renverser le système économique. Ce que nous avons à mettre en œuvre est d’un tout autre ordre : la crise écologique nous oblige à une transformation si profonde qu’elle fait pâlir par comparaison tous les rêves de changer de société. La prise du pouvoir est une fioriture à côté de la modification radicale de notre train de vie. Que peut vouloir dire aujourd’hui « l’appropriation collective des moyens de production » quand il s’agit de modifier tous les moyens de production de tous les ingrédients de notre existence terrestre ? D’autant qu’il ne s’agit pas de les changer « en gros », d’un coup, totalement, mais justement en détails par une transformation minutieuse de chaque mode de vie, chaque culture, chaque plante, chaque animal, chaque rivière, chaque maison, chaque moyen de transport, chaque produit, chaque entreprise, chaque marché, chaque geste ».
Des mouvements donc, non plus seulement de lutte pour la distribution équitable du gâteau, mais pour changer sa recette, comme le dit si bien Serge Latouche. Ces mouvements savent que nous ne connaissons pas la réponse avant d’avoir posé la question ! C’est à la création de quelque chose de neuf que nous assistons, c’est à la création de quelque chose de neuf que nous participons. Ces mouvements ont intégré les idées d’interdépendance, d’écologie, de limites de notre biosphère, de solidarité comme indispensable balance à la compétition. Ils tentent de répondre aux défis de notre temps et savent que si nous pouvons nous inspirer des expériences antérieures, c’est pourtant quelque chose de neuf qui est à construire.
Résumer la pensée foisonnante de cet auteur serait plutôt difficile ! Choisissons une citation qui exprime notre interdépendance avec le vivant. Notre association tente de s’enrichir d’autres cultures, et l’idée que nous appartenons au vivant et non l’inverse traverse les traditions. Nous recevons notre identité de nos appartenances. Miguel écrit : « Nous ne sommes que liens. Avec nos amis, notre famille, notre environnement… Tout ce réseau forme le soubassement dont nous sommes la résultante. La question « à qui vais-je me lier ? » n’a aucun sens. »
i- Citons notamment : Les villes en transition, la pédagogie de Recherche Action pour la Résolution de Problèmes Communautaires de Claude Poudrier (Québec), les AMAP, … qui œuvrent « en situation » sans attendre que le changement ne vienne d’en haut.
ii- Tout en sachant que cette façon de concevoir le monde est très ancienne ! Tchouang-tseu a dit : « on ne peut pas chosifier le monde sans préalablement se chosifier soi-même. »
iii- Bruno Latour, Le Monde, 4 mai 2007.
Quelques citations :
« Il est difficile pour nos contemporains, impossible nous ne le pensons pas car les mentalités évoluent, mais disons pour le moins difficile, de renoncer aux grands récits qui ont structuré la modernité et fondé durant des siècles l’engagement et les luttes. Difficile d’admettre que des choses changent, partout et en permanence, sans que ces changements locaux ne soient la promesse d’un changement global, prévisible ou maîtrisable, de société. … En attendant, les grands récits et la pensée qui les structure – celle d’un accord universel des esprits sur un changement global de société – continuent d’exercer leur influence. » Miguel Benasayag
« On ne pourra peut-être pas changer ce monde, mais rien ne nous empêche d’en construire un autre. » Miguel Benasayag
« Le grand défi de notre temps est de retrouver le sens d’un devenir sans avenir. » Miguel Benasayag
« Nous ne pouvons plus croire à la révolution, ni à la réforme. Le capitalisme fait partie de la complexité du réel, il est une tendance forte de notre monde, il ne peut pas être regardé du trottoir d’en face. La résistance se fourvoie si elle prétend créer un au-delà de l’existant et se placer au-dessus de l’ensemble de la société. » Miguel Benasayag
« Si je prends acte … qu’il n’existe pas de libération mais des devenirs de libération, je ne peux plus adhérer à l’idée d’une séparation des moyens et de la fin. La fin est alors dans chaque moyen. » Miguel Benasayag
« Le monde est bien davantage modifié par des processus sans sujets que par des grands hommes ou des groupes militants. » Miguel Benasayag
« L’efficacité de l’acte réside - et ça, c’est quand même une révolution - dans l’acte, et non pas dans les conséquences de l’acte. » Miguel Benasayag
« Les « nouveaux sujets » de l’agir ne sont plus les Hommes mais les différentes situations concrètes, dont les humains font partie, et dans lesquelles la vie se territorialise à nouveau. Les Hommes doivent donc se réincorporer aux lieux, paysages et situations dont ils sont concrètement tissés. » Miguel Benasayag
« Difficile d’admettre que les choses changent, partout et en permanence, sans que ces changements locaux ne soient la promesse d’un changement global, prévisible ou maîtrisable, de société. » Miguel Benasayag