Rentrer nulle part, sortir partout !

 

Texte de Paul Hermant 

 

Source : https://sortir395949446.wordpress.com/2019/09/02/22/

 

C’est un début du mois de septembre comme exactement tous les débuts de mois de septembre. Avec la rentrée scolaire, l’état de l’enseignement, les encombrements routiers, les premiers accidents, les retards. Et nous sommes rentrés. Au bureau, à l’école, à l’atelier, au CPAS, à l’université, en formation, à l’usine, au chômage, au boulot, peu importe, mais nous sommes rentrés.

Comme d’habitude, comme si ça allait de soi, comme si rien n’avait changé. Comme s’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil.

Nous sommes rentrés pour accomplir exactement les mêmes gestes qu’avant de partir, nous allons répéter les mêmes causes pour obtenir les mêmes effets. Nous avons reconstitué les forces qui nous manquaient, nous pouvons reprendre notre ouvrage là où nous l’avions laissé.

Le temps change, la planète change, nous ne changeons pas.

L’an dernier à pareille époque, je m’étais déjà posé la question. Mais pourquoi rentrons-nous ? Est-ce vraiment sensé ? Est-ce vraiment cela qu’il faut faire, est-ce là que se marque le mieux le sens des responsabilités ?

L’an dernier, d’ailleurs, un ministre s’était posé la même question que moi. Le 28 août 2018, Nicolas Hulot quittait le gouvernement français. Il n’était pas rentré. Il y avait du nouveau sous le soleil. Une canicule avait traversé l’été.

Cette année, nous avons vécu un épisode caniculaire moins long que l’an dernier, mais nous voyons s’installer des effets répétés et durables : arbres qui sèchent sur pied, phénomènes météorologiques devenant habituels, pénurie d’eau potable, assèchement des rivières, incendies monstres, raréfaction des terres agricoles, extinction des espèces … Cette année, ce sont les zones les plus septentrionales de la planète qui semblent trinquer le plus. Que ce soit ici ou là-bas, le pli est pris, l’été nous montre ce que le reste de l’année nous cache. Nous voyons mieux apparemment quand nous avons le temps de regarder et que nous pouvons prendre celui de penser…

Alors, je vous le demande, pourquoi sommes-nous rentrés ? C’est une question stupide bien sûr, je connais la réponse. Nous sommes rentrés parce qu’il faut bien avoir les moyens de vivre. Eh bien, moi, je pense que c’est exactement pour la même raison que nous ne devrions pas rentrer : parce qu’il nous faut avoir les moyens de vivre.

Mais évidemment, plein de gens vont considérer que ce qui serait fou, ce n’est pas de continuer à aller droit dans le mur, mais de freiner pour ne pas s’y encastrer. Beaucoup de celles et de ceux qui ont dans leurs attributions la fonction de diriger ou de gérer diront qu’il n’est pas raisonnable ni surtout responsable de faire courir des risques au fonctionnement socio-économique.

Pourtant, l’on peut tout aussi bien estimer que c’est cela qui est déraisonnable : de continuer à faire confiance à un système socio-économique qui, parce qu’il est basé sur l’exploitation et la consommation des ressources sociales et naturelles de la planète, aggrave tous les jours la situation. Oui, c’est cela qui est irresponsable : que les habitantes et les habitants de ce pays, de ce continent, de cette planète, n’aient pas d’autre choix, pour vivre, que de continuer à faire fonctionner un système en coma dépassé et passé en code rouge. Ce code rouge qui a été activé chez nous pour la première fois depuis 1833, c’est dire…

Oh, bien sûr, on m’opposera que les choses ne sont pas encore jouées, que les rapports du Giec ne font pas la pluie et le beau temps (sic), que les nouvelles alarmistes ne font pas avancer les choses, qu’il ne faut pas croire tout ce qui se raconte et surtout pas les jeunes adolescentes.

Oui, oui, je sais tout cela.

C’est même pourquoi je pense qu’il serait hautement appréciable qu’on laisse aux gens l’occasion de décider à quoi ils font confiance et de quoi ils se méfient.

C’est pourquoi je fais cette proposition toute simple.
Ne pas rentrer.

Rentrer nulle part, sortir partout…

J’atténue. Comme je vois d’ici arriver les réactions responsables et pour ne pas brusquer les tempéraments raisonnables, la proposition serait plus exactement de ne pas rentrer tout à fait. Ce serait déjà un début.

Vous voulez que j’explique ? J’explique.

Pendant les six prochains mois – on va dire ça, il faut bien commencer par quelque chose – nous travaillerons toutes et tous un cinquième de moins que notre temps de travail actuel.

Ce cinquième de temps nous sera évidemment payé, notre revenu ne changera pas.

Pareil si nous n’avons pas d’emploi. Nos allocations sociales nous seront garanties.

Pour les professions non salariées, on verra avec les lois sociales, on s’arrangera, il y a moyen de s’arranger. La question n’est pas là.

Ce cinquième de temps de travail en moins sera utilisé à débattre entre personnes partageant la même rue, la même classe, le même bureau, le même établi, la même entreprise, le même quartier, le même métier ou le même non emploi de ce qui nous arrive collectivement.

Et d’élaborer les manières dont nous comptons bien nous organiser ensemble pour ne pas sombrer dans une dépression sociale qui guette celles et ceux qui n’aperçoivent pas de futur tenable et pour donner une chance à l’avenir de venir.

Il s’agira donc d’un travail commun de construction que nous nous donnerons, d’une tâche commune, de bien public, dont toutes et tous seront chargés.

Evidemment, tout le monde aura la faculté de participer ou pas. Personne ne sera obligé de prendre part à ces débats et à ces rencontres. On pourra les rejoindre, on pourra les quitter. Chacune et chacun aura cette liberté.

On va me dire, c’est impossible. Bien sûr que c’est impossible.

C’est même pour ça que j’écris ceci, c’est pour ça que je le dis. Pour que nous puissions chacune et chacun prendre la mesure de l’impossible.

Cet impossible n’est rien.

Cet impossible est infime.

Cet impossible est atteignable.

Ce qui est nécessaire, c’est un peu d’esprit de conquête sociale et climatique…

Et d’ailleurs, à bien y réfléchir, tout le monde n’est pas rentré. A l’heure actuelle il nous manque encore un certain nombre de gouvernements… Ces cent jours depuis que nous avons voté, on nous les présente comme utiles à établir des programmes et des équilibres, on nous explique qu’il faut du temps, de la concertation, des rencontres… : c’est exactement ce que nous sommes en droit de réclamer, ce temps qui nous permettrait de penser et de nous préparer, ensemble, collectivement, solidairement. Même un système socio-économique basé sur l’exploitation et la consommation des ressources sociales et naturelles de la planète devrait être capable de comprendre ça. Ou alors, c’est que la seule chose qu’il soit en capacité de nous offrir, c’est la perspective d’un suicide collectif, mais pas solidaire. Ce qui est exactement en train de se passer. Sous nos yeux. Mais nous ne le voyons pas. Puisque nous sommes rentrés.

Voilà. Voilà ce que j’aurais dit si quelqu’un m’avait demandé à quoi je pense, là, maintenant.

A ne rentrer nulle part et à sortir partout.

Paul HERMANT

Source : https://sortir395949446.wordpress.com/2019/09/02/22/

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