“Une alimentation durable, accessible à tous ? Défis et pistes” Education Santé - Revue de promotion de la Santé

Découvrez l’article "L’éducation populaire, pour réinventer un système alimentaire plus juste et durable", suite à une interview avec Rencontre des Continents, publié dans la revue "Éducation Santé".

Cette revue s’adresse principalement aux acteurs et actrices de la promotion de la santé, et aborde dans ce numéro la question de l’accessibilité de l’alimentation à tou·tes et l’influence sur la santé.

 

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L’éducation populaire, pour réinventer un système alimentaire plus juste et durable

Article écrit par : JULIETTE VANDERVEKEN

Rencontre des Continents (RdC) est une association d’éducation permanente, se reconnaissant dans le courant pédagogique de l’éducation populaire, qui propose d’accompagner les citoyens et citoyennes à comprendre les multiples enjeux qui entourent notre assiette par une approche systémique et émancipatrice. Une invitation à s’embarquer ensemble vers les horizons des possibles et la construction des alternatives pour réinventer un système alimentaire plus juste et durable. Nous avons rencontré Sébastien Kennes [1] qui nous a expliqué comment RdC propose d’articuler les clivages entre le social, l’écologie et l’alimentation durable. Cap sur la transition donc, avec l’éducation populaire comme levier.

 

food rising concept

 

Une préoccupation devenue sociétale

L’alimentation, c’est un thème qui nous lie toutes et tous. Déjà, il faut manger pour vivre. Mais c’est aussi par l’alimentation que se jouent des enjeux sociaux, culturels, économiques, politiques – à toutes les échelles, du plus global… à notre assiette. « Ce n’est pas un thème qu’on a choisi, il s’est progressivement imposé à nous  », nous explique Sébastien K. RdC promeut une approche systémique en tentant de penser chaque fois les liens « entre ce qu’on trouve dans notre assiette et les questions de justice sociale et internationale, qui obligent des personnes à migrer, les questions environnementales et écologiques, etc. On ne peut pas délier la question de l’alimentation et notre manière de consommer, de tous les impacts que cela a sur les autres peuples et les autres écosystèmes. »

« Même si cela fait plus de 30 ans que certains alertent sur les dérèglements du système alimentaire, ça fait une dizaine d’années qu’on voit apparaître de plus en plus d’initiatives dans le monde associatif : des circuits-courts, des groupes d’achat, etc. La préoccupation s’est étendue à d’autres, avec notamment la production de documentaires qui ont rendu le sujet moins ‘anecdotique’. Cette dernière décennie, les politiques publiques s’emparent davantage du sujet, des associations bénéficient de financement pour construire des alternatives, la préoccupation est devenue sociétale, mais fait face à bon nombre d’obstacles »

Un tournant semble aussi s’opérer depuis quelques années chez nous dans la considération des publics concernés : ce n’est plus tant la préoccupation seule d’une classe moyenne, privilégiée, et plutôt urbaine. Les liens avec la santé se sont faits plus évident avec le boom des maladies chroniques liées à nos modes de vie et dont l’alimentation est un déterminant important La question de l’inclusion et des accessibilités de tous les publics a grandi et est centrale aujourd’hui auprès des acteurs et actrices de terrain et des pouvoirs publics impliqués. Parallèlement, une réflexion s’est amorcée entre les secteurs de l’alimentation durable et de l’aide alimentaire sur la qualité des produits distribués notamment.

L’alimentation durable est une thématique qui appelle forcément à travailler de manière décloisonnée. Depuis qu’on a commencé, on y retrouve des environnementalistes-écologistes, des personnes du monde paysan, des ONG qui travaillent sur le niveau international, des associations agissant au niveau plus local, celles de la souveraineté alimentaire, de l’aide alimentaire… et de plus en plus, des acteurs et actrices de la promotion de la santé.

A la rencontre des personnes

L’association propose des animations à destination “du public de la diversité sociale et culturelle”, comme le désigne ses membres. Pour les rencontrer, les animateur.trices passent par des organisations intermédiaires comme des CPAS ou des structures associatives d’aide sociale ou socioculturelles, comme des associations de femmes, des asbl de lutte contre la précarité… qui font appel à eux pour construire un processus de réflexion, avec leurs publics. Les projets et les demandes sont multiples et variées : que ce soit accompagner des usager.es d’un CPAS avec le supermarché alternatif de la BEES coop [2] qui souhaite devenir plus inclusif ; ou encore un centre culturel qui s’associe avec un CPAS pour entamer une réflexion sur l’alimentation, débouchant sur des projections filmées de ces ateliers et ouvrant la voie à une ébauche de projet sur la sécurité sociale de l’alimentation au niveau des pouvoirs publics locaux…

Bien entendu, tous ces processus demandent du temps. Qu’il soit question d’arriver à des finalités pratiques ou juste d’énoncer/dénoncer les enjeux, le temps (prendre le temps) est nécessaire et demande des moyens. C’est pourquoi, en parallèle aux animations, RdC propose des formations qui s’adressent davantage à des publics plus avertis sur la thématique, que ce soient des professionnel.les, des acteur.rices-relais ou des citoyen.nes en questionnement sur leur alimentation et ses nombreux enjeux connexes. Ces formations vers les acteur.rices-relais ont notamment comme objectif de les outiller concrètement et de leur permettre de poursuivre le travail entamé lors des animations auprès des publics en trajets à plus long terme, pour dépasser la sensibilisation et faire bouger les lignes, y compris dans les structures demandeuses.

L’éducation populaire comme levier

Nous ne sommes pas là pour apprendre aux gens comment mieux manger. Notre but est que s’amorce chez les individus qu’on accompagne, une réflexion à partir de leur vécu sur l’alimentation et sur le monde qui les entoure.” Les prescrits et les injonctions surtout individuelles (de l’éco-consommation et du langage dominant, comme ils les citent) ne sont pas prioritaires dans la démarche d’éducation populaire de l’association.

La mise en pratique d’une démarche d’éducation populaire est essentielle pour RdC. C’est-à-dire essayer que le point de départ des échanges soit toujours défini à partir du regard de chacun et chacune sur le monde qui les entoure et sur leurs propres réalités en lien avec l’alimentation. Il n’est pas question ici pour un.e animateur.trice de donner d’emblée de l’information descendante, d’imposer sa propre lecture du monde… mais de laisser la place aux vécus, aux ressentis, aux expériences et aux savoirs de chaque participant.es. Et chemin faisant, de déplier les facettes et les enjeux qui entourent notre alimentation, d’amener chacun et chacune à s’interroger et, dans l’idéal, proposer (poser) les ébauches de ses propres solutions.

Pour mettre en place ces dispositifs, une panoplie d’outils pédagogiques existe pour soutenir l’animateur.trice, allant du photolangage (souvent utilisé en première instance pour travailler davantage par le visuel) à l’atelier cuisine, en passant par les jeux de rôles… Les outils varient en fonction des groupes, de leur maîtrise de la langue ou de l’écrit, etc. “Un atelier cuisine n’est pas pensé ici comme un cours ou comme un exposé pour découvrir tel ou tel légume de saison et dire comment il faut faire. C’est un outil de revalorisation des savoirs, qui nous permet de plonger dans les pratiques respectives, d’échanger, de découvrir, de se mettre en situation de questionnement. Mais l’essentiel, c’est ce qui s’amorce en termes de récit, ce que les gens racontent, ce qu’il se passe dans un groupe quand on cuisine, collectivement et socialement.”

Toujours en partant des vécus et des repères de chacun.e, liés à leur histoire, leur culture… l’animateur.trice tente d’inviter les participant.es à questionner et déconstruire ce qui se cache derrière certains aliments, les impacts positifs et négatifs, ou encore par la visite de supermarchés, des choix de tel ou tel produit, etc. Le thème de la viande est souvent plébiscité, car il recoupe tant les enjeux culturels, qu’écologiques ou de santé. « On démarre avec des outils les plus simples à appréhender par toutes et tous. L’éducation populaire permet de libérer la parole. Et progressivement, c’est collectivement qu’on va complexifier le propos  ».

Si on a plus de questions à la fin d’un processus que de réponses, on considère que c’est tant mieux ! Ce qui fait que les gens bougent, c’est le fait qu’ils se questionnent en premier lieu. L’éducation populaire vise à émanciper les personnes… mais personne ne s’émancipe tout seul, on s’émancipe collectivement (pour paraphraser Paulo Freire [3]).

De l’individuel au collectif

Libérer la parole, laisser la place aux questions, permettre aux personnes de déposer des mots sur leur propre vécu et, en résonance avec leurs réalités, ajouter des éléments d’information amène petit à petit à politiser le propos et réfléchir ensemble à des pistes de solution collectives. « Les pistes d’action seront nécessairement plus impactantes si elles sont collectives que si elles sont individuelles  », ajoute Sébastien K.

Mais d’emblée, il précise aussi : « se poser des questions, interroger sa consommation, c’est déjà une grande étape. On est très attentifs à éviter l’écueil des injonctions et de dire aux personnes comment elles doivent manger. On rencontre un public qui fait face à un tas de défis au quotidien et qui croule sous les injonctions (« trouver du travail », « s’occuper des enfants »…). » On a aussi posé la question des préoccupations récurrentes que Sébastien K. décèle auprès des groupes accompagnés, de leur état d’esprit ou des réactions fréquentes. Parmi elles, il relève d’une part l’aspect financier (le prix juste, et le prix à payer d’une alimentation de piètre qualité), la question de l’accessibilité pratique et matérielle, et enfin une perte de confiance dans le monde politique (sur leur capacité d’agir sur notre situation ; ou inversement notre capacité à agir sur le monde politique).

« Nous souhaitons créer un cadre sécurisant pour prendre le temps de se poser, se questionner et avancer ensemble. Ce sont les personnes elles-mêmes qui définissent leurs leviers d’action. » RdC les accompagne, et tente de renforcer les ponts avec d’autres luttes et acteur.rices, peut-être plus portés sur la construction de plaidoyers pour la justice sociale comme le Réseau de lutte contre la pauvreté ou la Fédération des Services Sociaux par exemple.

Parfois, les personnes se mettent rapidement en action, comme ce groupe de femmes que RdC a accompagné il y a quelques années et qui a décidé de faire les courses en groupe dans des lieux d’approvisionnement plus éthique du point de vue de la qualité de l’alimentation. Mais souvent, ça peut prendre plus de temps, et souvent, celui-ci manque cruellement aux animateur.trices de RdC ou des structures partenaires. « En parler, poser les mots permet d’avoir une prise sur ce qu’on peut mettre en place. Partir de l’individuel et rendre le propos collectif contribue in fine à reprendre du pouvoir sur son assiette et son alimentation. »

Pour en savoir plus

Rencontre des Continents
Rue van Elewyck, 35 à 1050 Bruxelles
02/734.23.24
https://rencontredescontinents.be/

[1] Animateur et formateur, chargé du réseautage

[2] http://bees-coop.be/

 

[3] Dans son ouvrage « Pédagogie des opprimés » (1968), Paulo Freire écrit : « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. »

 

L’article est à retrouver sur : 
https://educationsante.be/leducation-populaire-pour-reinventer-un-systeme-alimentaire-plus-juste-et-durable/

 

 

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