Une écologie de l’alimentation Présentation par Daniel Cauchy

« L’écologie s’intéresse aux liens des vivants entre eux
 et avec leurs milieux. Elle conçoit les êtres non plus comme des atomes, mais comme des nœuds dans un réseau complexe d’interactions et d’interdépendances [...]. Nous appartenons à des communautés nombreuses et entrelacées. Nos engagements et nos pratiques s’en trouvent dès lors transformés. »

« Une écologie de l’alimentation reconnaît aussi la nécessité de dépasser les limites de la communauté scientifique pour rechercher une "cohabitation des connaissances disciplinaires et généralistes", voire leur interaction dans le cadre d’une "écologie des savoirs". Cela présuppose, sans tomber dans le relativisme, d’affirmer que la méthode scientifique n’a pas autorité sur les autres rapports au réel, dans la mesure où la connaissance s’inscrit tant dans une dimension intellectuelle que pratique et émotionnelle. Il s’agit de considérer l’alimentation comme objet perçu et expérience vécue, structurant des rapports sensibles et des pratiques entre individus, société et biosphère. L’interaction entre acteurs scientifiques et non scientifiques apparaît indispensable pour répondre aux enjeux de durabilité des systèmes alimentaires. »

Cette fois, nous évoquons une pépite, mais nous faisons aussi un cadeau ! En effet, l’ouvrage Une écologie de l’alimentation est non seulement très intéressant à plusieurs titres mais vous pourrez le télécharger gratuitement ici => www.chaireunesco-adm.com.

La Chaire Unesco Alimentations du monde a réalisé ce travail de synthèse grâce à de nombreuses contributions ces dix dernières années. Il propose une vision globale des enjeux alimentaires mais surtout une étape conçue comme une ouverture à concevoir autrement l’alimentation et à en faire un champ expérimental pour repenser nos rapports au monde.


L’alimentation est abordée sous ses multiples dimensions avec une égale importance. Cette proposition d’une écologie de l’alimentation s’ancre autant dans le registre d’une science des relations que d’un projet de changement de nos systèmes alimentaires. « Repenser nos alimentations, c’est repenser nos sociétés ». On y retrouve donc les deux dimensions de l’écologie : construction de savoirs spécifiques et mouvement social pour le changement.


Les propositions sont élaborées sous l’angle des relations : à soi, aux autres et à la biosphère. Les enjeux des systèmes alimentaires actuels, dont bien évidemment celui du système industrialisé (industrialisation de l’agriculture et de l’offre alimentaire), ainsi que l’évolution des habitudes alimentaires sont explorées. Mais le cœur de l’ouvrage est bien de considérer l’alimentation au prisme de l’écologie et d’explorer les transformations des systèmes alimentaires qu’appelle une telle conception.

« Parler d’alimentation, c’est donc évidemment soulever des questions qui mettent en jeu les mécanismes fondamentaux de la vie. Mais c’est aussi de la société qu’il s’agit : de la répartition des ressources comestibles collectées ou produites, donc de l’organisation sociale et de l’économie, du quotidien et de l’histoire, de la solidarité et des inégalités, du partage et de la compétition... L’étude de l’alimentation est nécessairement « écologique » et nécessairement pluri, inter et transdisciplinaire : elle relève nécessairement d’une pluralité de disciplines, dont celles des sciences sociales comme de la biologie. »

Une approche écologique appelle à l’articulation de points de vue complémentaires. L’étude segmentée des composantes d’un phénomène est certes nécessaire, mais s’y cantonner empêche d’appréhender la complexité du phénomène en le réduisant à l’une de ses dimensions. « Ainsi, une « écologie de l’alimentation » se traduit en pratique par un décloisonnement des savoirs sur l’alimentation, opéré dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire, pour appréhender globalement les enjeux de durabilité qui parcourent le fonctionnement des systèmes alimentaires. Cette articulation des points de vue sur l’alimentation s’inscrit dans une approche holistique capable de reconnaître les différentes dimensions de l’alimentation sans préjuger a priori d’une quelconque hiérarchie, de faire le lien entre elles et de révéler les dynamiques engendrées par leurs interactions. »

La première démarche d’une approche écologique de l’alimentation sera donc le décloisonnement des savoirs afin d’appréhender l’alimentation dans sa complexité et de construire un nouvel objet de recherche interdisciplinaire, le « système alimentaire durable », en lien avec l’essor de la démarche systémique.

Un ouvrage aussi foisonnant n’est bien évidemment pas résumable. Les chapitres sont nombreux et les contributions multiples. Mais cette proposition est fondamentale dans le sens où elle consiste à inviter à penser autrement le thème de l’alimentation, à le penser dans sa complexité, la multiplicité des acteurs et actrices impliqués et des dimensions à prendre en compte (économiques, techniques, culturelles, sociales, nutritionnelle, géographique, …). Le système alimentaire considéré comme « socio-écologique » rapproche sciences dures et sociales et appelle à mettre l’interdépendance entre systèmes humains et naturels au cœur de nos réflexions.

Quelle belle source d’information pour nous, mais sans doute aussi quelle formidable validation des intuitions que nous développons chez RdC ! Les propositions que nous faisons depuis des années sont maintenant développées par des instances officielles. L’approche complexe et notre pédagogie de l’anecdote trouvent dans ce document des lettres de noblesse. Mais aussi quelques points plus précis sont confortés : une sortie du « nutritionnisme », c’est-à-dire porter attention aux aliments et moins aux nutriments, une attention aux critères de naturel, local, paysan, biologique, de saison, éthique (tous ces points apparaissent dans le livre). Nous retrouvons aussi d’autres thèmes que nous mobilisons : l’importance décisive d’une préoccupation pour les autres habitants de notre planète, les vivants non-humains, les notions d’interdépendance, de changement par le bas, du foisonnement des initiatives, etc.


Espérons aussi que ce genre de document puisse participer à une meilleure compréhension de ce qu’est l’écologie, encore si souvent considérée comme le luxe d’une classe aisée pouvant se préoccuper des petits oiseaux. Reprenons encore un passage :

« … en plaçant la question des liens qui parcourent le vivant au cœur de son propos, l’écologie présente une dimension éthique. Elle appelle à changer nos rapports dans le monde et à nous repenser « nous, parmi les autres », c’est- à-dire parmi d’autres êtres humains, d’autres formes de vie, d’autres générations avant nous et après nous. En filigrane, l’écologie prône un sentiment enthousiasmant de faire partie du vivant, duquel découle une responsabilité vis-à-vis du maintien, aujourd’hui et demain, des conditions d’existence décentes des autres humains et non-humains. »
 

Et pour terminer, voici deux paragraphes issus des conclusions du livre (Nicolas Bricas, Damien Conaré, Marie Walser) :

« Nous l’avons vu, l’alimentation représente un formidable élément de relation et de rencontre au sein du monde du vivant, doublé d’un vecteur d’engagement politique très singulier : l’alimentation concerne tout le monde au quotidien, elle touche de très nombreux domaines (environnement, santé, éducation, solidarités, plaisirs, identités, etc.) et elle est connectée à un grand nombre d’activités économiques dont elle dépend. L’alimentation n’est pas un champ clos sur lui-même. Elle est façonnée par des facteurs externes et, en retour, façonne le monde dans lequel on vit. Plutôt que défendre un statut spécifique de l’alimentation, une « écologie de l’alimentation », compte tenu de la diversité des relations qu’elle prend en compte, propose plutôt de s’en servir comme un moyen de repenser le monde. Un monde en crise, qui appelle à inventer et expérimenter d’autres relations, et l’alimentation, « fait humain total », peut être le terrain de cette aventure. Une aventure que nous imaginons sous forme d’un « banquet du monde », une petite histoire imaginaire pour raviver nos enthousiasmes en des temps bien perturbés ... »

« Mais le fait qu’au quotidien, chacun mette en pratique des principes pour essayer de bien manger est plus mobilisateur pour les citoyens que de repenser, plus théoriquement, la gestion des ressources naturelles par exemple. L’alimentation est donc bien une bonne entrée pour repenser nos relations à nous-même, aux autres et à l’environnement. »
 

Bonne lecture, profitez bien de ce cadeau !

 

 

Présentation par Daniel Cauchy

décembre 2024 :

novembre 2024 | janvier 2025

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